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… Je me souviens D’avoir eu pour ami, dans mon enfance, un chien,
Une levrette blanche, an museau de gazelle, Au poil ondé de
soie, an cou de tourterelle, À l’œil profond et doux comme un regard
humain; Elle n’avait jamais mangé que dans ma main, Répondu qu’à
ma voix, couru que sur ma trace, Dormi que sur mes pieds, ni flairé
que ma place. Quand je sortais tout seul et qu’elle demeurait,
Tout le temps que j’étais dehors, elle pleurait; Pour me voir de
plus loin aller ou reparaître, Elle sautait d’un bond au bord de ma
fenêtre, Et, les deux pieds collés contre les froids carreaux,
Regardait tout le jour à travers les vitraux; Ou, parcourant ma
chambre, elle y cherchait encore La trace, l’ombre au moins du
maître qu’elle adore, Le dernier vêtement dont je m’étais couvert,
Ma plume, mon manteau, mon livre encore ouvert, Et, l’oreille
dressée au vent pour mieux m’entendre, Se couchant à côté, passait
l’heure à m’attendre. Dès que sur l’escalier mon pas retentissait,
Le fidèle animal à mon bruit s’élançait, Se jetait sur mes pieds
comme sur une proie, M’enfermait en courant dans des cercles de
joie, Me suivait dans la chambre au pied de mon fauteuil,
Paraissant endormi me surveillait de l’œil. Là, le son de ma voix,
la plainte inachevée, Ma respiration plus ou moins élevée, Le
moindre mouvement du pied sur le tapis, Le clignement des yeux sur
le livre assoupis, Le froissement léger du doigt entre la page,
Une ombre, un vague éclair passant sur mon visage, Semblaient dans
son sommeil passer et rejaillir, D’un contrecoup soudain la
faisaient tressaillir: Ma joie ou ma tristesse, en son œil retracée,
N’était qu’un seul rayon d’une double pensée. Elle mourut,
encore son bel œil sur le mien. Que de pleurs je versai! Je l’aimais
tant! Eh bien, …
Extrait de Jocelyn «La grotte aux aigles» |